SACRÉ BORDEL – BIGFLO ET OLI
C’est la grande surprise de ces dernières semaines, Biglfo et Oli sont de retour après 1 an et demi d’absence ! Et outre le fait que Bigflo ait laissé tomber sa casquette, c’est la manière dont ils sont réapparus ainsi que le message poignant de leur morceau qui a suscité la curiosité des uns et des autres.
Fidèles à eux-mêmes, c’est proche du public – et même en plein milieu du public – qu’ils ont décidé de faire leur grand retour, comme pour montrer que malgré leur vie de rêve, ils gardent un pied dans la vraie vie, avec nous, au milieu de nous. Souvent, on peut avoir une image des artistes connus restant loin du public, gardant leurs distances pour se protéger (ce qui est compréhensible), tournant leurs clips à l’écart et faisant « coucou » de loin. A l’image de Stromae avec son clip « Formidable », Bigflo et Oli ont surpris tout le monde avec leur cube de verre posé sans prévenir en plein milieu de plusieurs villes (Toulouse, Paris, Peyragudes dans les Pyrénées et Lauzerte dans le Tarn-Et-Garonne) afin de tourner leur clip « Sacré Bordel ». Les passants chanceux d’être au bon endroit au bon moment ont alors pu vivre un moment unique.




En écoutant « Sacré Bordel », ma première impression était l’agréable surprise de constater un retour aux sources pour Bigflo et Oli. En effet, l’écriture et la construction du morceau rappellent celles présentes sur les morceaux de leur premier album. Il n’est sans nul doute que les puristes visionnaires n’ont pu s’empêcher de faire le parallèle entre ce nouveau titre et celui de « Je suis » sorti en 2015. A cette époque, chaque morceau portait un message fort et les paroles étaient percutantes. Bien que visionnaires dans l’âme, je n’avais pas complètement retrouvé cela sur les 2 albums qui ont suivis, plus « commerciaux – passables en radio » à mon goût face au succès grandissant qu’il fallait alimenter pour l’ancrer le plus possible dans l’esprit populaire (toutefois, cela ne m’a pas empêchée pour autant d’apprécier ces deux albums pour autant). Tous les artistes passent par là à un moment ou à un autre dans leur carrière (il faut bien rentrer (un peu) dans le moule si on veut se faire voir, c’est comme ça.)
Je suis donc heureuse d’entendre un nouveau son de Biglfo et Oli reflétant ce rap conscient qui, personnellement, m’a fait aimer leur duo. Je fais partie de ceux qui donnent (presque) plus d’importance aux paroles des chansons qu’à leurs sonorités.
En ce qui concerne le message, ils expriment les ambivalences de la société (ici la société française les concernant) où toute parole ou faits et gestes sont décryptés et analysés, où le jugement est roi et où la sensation de marcher sur des oeufs est omniprésente :
« Beaucoup de questions, peu de réponses, j’ai que les paroles d’une chanson
Comment être un artiste engagé quand je sais pas vraiment quoi penser ?
[…]
On rejette la faute sur l’autre, mais les autres, c’est nous »
Le racisme, les différences et les préjugés rencontrés en France sont mis en avant par les deux frères, perdus entre la compréhension de cette réalité et leur amour pour leur pays et l’humanité qu’ils y voient malgré tout.
Oli : « Ça t’fait bizarre mais je l’aime, ce pays, celui qui me taxe et me couvre d’impôts
Celui qui paye pour moi à la pharmacie, qui m’emmenait gratuit voir la mer en colo’
Son histoire, j’en connais ses horreurs mais aussi sa puissance
J’suis pas responsable de ses erreurs mais j’dois faire avec ses conséquences »
Flo : « Elle est belle ma France et son terroir, même si c’est pas moi qu’elle voit dans l’miroir
J’me dis qu’on pourrait le faire, briser le plafond de verre
Au lieu de pointer les différences de chacun, s’concentrer sur tout c’qu’on a en commun »
On voit très bien avec ces deux citations que les frères jouent avec des contrastes en construisant leurs phrases sous forme d’antithèse. Ils aiment un pays malgré ses défauts et ses déboires, et donnent du poids à la sincérité de leurs dires en précisant qu’ils sont parfois eux-aussi victimes de ses travers. Tout le texte est construit de cette manière, faisant osciller le message du morceau tantôt vers le bon côté, tantôt vers le mauvais côté, faisant ainsi ressortir à travers leurs mots et leur construction le sentiment de discordance qui règne en eux. Pour aller plus loin, ce morceau pourrait même être l’antithèse de leur morceau « Bienvenue chez moi » où Bigflo et Oli mettaient à l’honneur la France et ses différentes régions en rendant hommage à toutes ces diversités et spécialités qui font la beauté de la France et nous rendent fiers de nos régions et de notre pays. Ce n’est donc pas la première fois que les deux frères écrivent sur ce sujet.

Sur la construction de ce morceau, on peut également remarquer que les couplets des deux frères sont quasiment construits en miroir, comme on peut le voir avec les deux citations précédentes. Les deux frères commencent leur couplet respectif par des questions qu’ils se posent à eux-mêmes tout en soulevant des problèmes de société, comme le racisme, l’économie, le social ou l’Histoire de la France avec ses conséquences et son évolution. Toutefois le grand frère, Flo, semble tenter d’apporter plus de réponses comme pour apaiser ou protéger le petit frère, Oli (7 questions pour Oli contre 3 pour Flo). D’ailleurs, Flo, le dit dès le début de son couplet : « Beaucoup de questions, peu de réponses ». Il va donc y remédier. Et pour cela, la famille, leurs origines et leurs expériences sont leurs principales sources d’inspiration, donnant à leur morceau un poids plus sincère et plus expressif. Tout le monde peut ainsi facilement se reconnaître à travers leur texte.
Et pour finir, j’aime beaucoup la personnification qu’Oli fait de la France, qui me parle beaucoup : « J’aime la France, comme une tante avec qui j’suis pas toujours d’accord, qui fait trop peu d’efforts
Mais pour qui je chialerai toutes les larmes de mon corps à sa mort ». Il a tout dit.
Bigflo et Oli ont donc misé sur un message fort pour leur retour, bien que cela soit courageux quand on connait le contexte européen tendu actuellement et le fait que la France soit en période d’élection présidentielle et de législative. Les jugements et amalgames les concernant vont bon train depuis la sortie du morceau, politisant leurs paroles ou au contraire leur donnant le beau rôle d’artistes solidaires et tolérants. Ces « pseudo » polémiques (qui n’en sont pas) peuvent aussi être une manière réfléchie des artistes – pleinement conscients du contexte durant lequel leur son allait paraître – de faire une pierre deux coups en concrétisant le message de « Sacré Bordel » et en ironisant sur le titre de leur morceau. Un bon moyen de se poser des questions sur cette manière de gérer les informations que nous recevons et les jugements que nous portons sans faire la part des chose, sans réflexions, et en oubliant, bien souvent, de simplement apprécier un bon morceau.
Sans surprise, j’aime beaucoup ce morceau et attends avec impatience leur nouvel album qui sortira le 24 Juin prochain et pour lequel Bigflo et Oli ont décidé de fêter la sortie le jour même, sur la scène de l’AccorHotels Arena de Paris. Et fidèle à leur adage de rester proche de leurs fans, c’est le public qui, à la suite de quelques jours de sondage, à choisi le titre et la pochette de ce nouvel opus.

Elo-Esperanza